Le non-lieu dans le volet non ministériel du dossier du sang contaminé a illustré les limites du droit
LE MONDE | 08.07.05 | 13h27
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our les juges comme pour les associations de victimes, il n'y a guère de doute : la loi Fauchon du 10 juillet 2000 sur les délits non intentionnels est un frein pour établir les responsabilités pénales des décideurs en matière d'homicide et de blessures involontaires.
La loi Fauchon, applicable aux fautes ayant indirectement causé un dommage, restreint la responsabilité pénale aux cas de violation manifeste d'une "obligation de prudence et de sécurit é" ou de "faute caractérisée " exposant autrui à "un risque d'une particulière gravité ". Les victimes font remarquer que plus le juge remonte la chaîne des responsabilités, plus le lien avec la faute est indirect. Et que seuls les "lampistes" soient condamnés.
Pour les victimes du sang contaminé, le non-lieu général dans le volet "non ministériel" de l'affaire prononcée en 2002 par la Cour d'appel de Paris, confirmée par la Cour de cassation en juin 2003, fut une décision incompréhensible.
Car la justice avait déjà, en 1993, condamné Michel Garretta, ex-directeur du Centre national de transfusion sanguine, pour "tromperie sur la qualité substantielle d'un produit" . Et en 1999, Edmond Hervé, ancien secrétaire d'Etat à la santé, avait été reconnu coupable d'"homicide involontaire " par la Cour de justice de la République.
"PRÉALABLE"
L'instruction de la juge Marie-Odile Bertella-Geffroy a débouché en 1999 sur le renvoi de 30 personnes pour "empoisonnement" et "homicide involontaire" . Au nom de l'interprétation stricte de la loi pénale, l'avocat général de la Cour de cassation, Dominique Commaret, avait contesté en 2003 ces qualifications : "La justice pénale n'a pas vocation à désigner un coupable pour tous les accidents de la vie . Elle ne sanctionne que les fautes commises dans certaines circonstances très nettement circonscrites par le législateur." La Cour a estimé que la "volonté de donner la mort" , nécessaire pour établir l'"empoisonnement" , n'avait pas été démontrée. Même raisonnement pour la "non-assistance à personne en danger" . Les médecins "n'avaient pu avoir conscience de l'existence d'un péril d'une imminente gravité qu'ils auraient pu écarter ".
Mais, selon Mme Commaret, la loi Fauchon n'est pas en cause. "En amont" des conditions restrictives posées par la loi en matière de dommage indirect, il existe "un préalable" , avait-elle expliqué : "Celui de la démonstration de l'existence d'un lien de causalité entre la faute qualifiée et le dommage."
Dans le domaine pénal, avait-elle ajouté, "la preuve de l'existence du lien de causalité doit être apportée par la partie poursuivante, faute de quoi le doute profite au prévenu" .
La Cour de cassation a affirmé que les responsables en cause ne pouvaient être poursuivis pour "homicide involontaire" car la contamination initiale des victimes avait eu lieu "dans des circonstances qui n'ont pu être suffisamment déterminées" , et "les médecins n'avaient pas connaissance du caractère nécessairement mortifère des produits sanguins qu'ils administraient" .
Pour éviter que le fiasco du sang contaminé ne se reproduise, la justice, dans le cas de l'hormone de croissance, a ouvert une autre porte, apparemment plus sûre : celle de la "tromperie" .
Nathalie Guibert